Hugo Prévost
Sorti quelques mois avant que The Force Awakens ne déboule au cinéma, fracassant pratiquement tous les records au box-office, Lost Stars, écrit par Claudia Gray, s’inscrit dans la mouvance littéraire découlant du rachat de Lucasfilm par Disney, et de la relance subséquente de « l’univers étendu » de la saga de science-fiction.
Sur la planète Jelucan, monde montagneux venant tout juste de passer sous l’emprise de l’Empire galactique, après la chute de l’Ancienne République et les événements de l’Épisode 3, les jeunes Ciena et Thane, deux amis de longue date, graviront tour à tour les échelons de la hiérarchie de la Flotte impériale. Épris d’aventure, et souhaitant servir un Empire qu’ils considèrent comme la représentation de l’ordre et de l’honneur dans la galaxie, les deux enfants, entre-temps devenus adolescents, puis jeunes adultes, seront appelés à servir contre une Rébellion naissante, jusqu’à la destruction d’Alderaan par l’Étoile de la Mort, puis l’assaut des rebelles contre cette gigantesque station de combat au cours de la Bataille de Yavin IV, racontée dans Un nouvel espoir.
De là, les chemins divergeront: si Ciena décidera de redoubler d’efforts pour protéger l’Empire contre les « terroristes » rebelles, Thane, lui, en viendra à rejoindre les rebelles contre la tyrannie de l’Empereur.
Il y a certainement quelque chose de franchement intéressant à observer l’ »envers de la médaille » dans l’univers de la Guerre des Étoiles. Après tout, les événements des trois premiers films ont été majoritairement narrés selon le point de vue des héros, les forces de l’Empire n’apparaissant que sous la forme de sbires maléfiques dirigés par un homme-machine tout de noir vêtu, et un Empereur encore plus fourbe qui ne prendra véritablement forme humaine que dans le troisième film de cette première trilogie, tout juste avant l’affrontement final en orbite autour d’Endor.
Dans ce Lost Stars, on tente de nous démontrer que tout n’est pas pourri au sein de l’Empire… du moins, pas au début. L’Étoile Noire elle-même, arme la plus terrifiante de la galaxie, n’a été construite que pour « éviter la guerre », la destruction d’Alderaan servant d’ultime avertissement aux troupes éparses de la Rébellion. On connaît la suite, bien entendu, mais alors que la saga continue de prendre de l’âge, et que le public en est maintenant à initier ses enfants, voire ses petits enfants à cet univers, peindre Star Wars en teintes de gris, plutôt qu’en noir et blanc, est un exercice résolument intéressant.
Ce faisant, Claudia Gray frappe cependant quelques écueils. L’ampleur de l’oeuvre, d’abord, puisque l’on nous décrit en détail, sur plusieurs années, la construction de la relation entre nos deux protagonistes, ce qui mène à la ponte d’un ouvrage s’étendant sur près d’un quart de siècle. Parfait lorsqu’il s’agit d’une série d’ouvrages, mais pour un seul roman, à trop vouloir en faire, on finit par trop étirer la sauce par endroits, tandis que d’autres aspects de l’histoire auraient gagné à être mieux développés.
Par ailleurs, les motivations des personnages sont eux aussi trop souvent écartées au profit de leurs sentiments mutuels. C’était écrit dans le ciel, Ciena et Thane tomberont amoureux l’un de l’autre. Rien de nouveau sous le soleil. Et Mme Gray se perd hélas dans des mièvreries approchant le ridicule. L’amour surpassera les allégeances politiques pour s’imposer comme la force guidant les âmes dans la galaxie? Pffft…
« C’était mieux avant », aime-t-on clamer, surtout lorsqu’il est question de lever le nez sur la « prélogie » des épisodes I, II et III. Pourtant, lorsque l’on se penche sur ce premier univers étendu au sein duquel Disney a joyeusement fait table rase, il n’y avait pas lieu de pavoiser. A-t-on oublié que Star Wars est d’abord un conte? Il y a 20 ans, il y avait lieu de s’émerveiller de la richesse et de la complexité de l’écriture d’un Timothy Zahn et de sa pentalogie de la Croisade noire du Jedi fou. Aujourd’hui, si sa verve tient toujours la route – surtout comparé à ce qui se publiait aux alentours de la sortie de La menace fantôme! -, on est loin du prix littéraire. Il n’empêche, l’histoire d’amour entre Luke Skywalker et Mara Jade, qui s’étend sur 10 ans, est beaucoup plus intéressante que celle de deux jeunes ayant presque toujours été amis, et qui, inévitablement, auront des papillons dans l’estomac.
Lost Stars a du mérite. Encore eut-il fallu renforcer les sections politiques et les questionnements éthiques des deux personnages principaux. Donner plus de chair à l’humain derrière le symbole de l’oppression ou de la lutte contre la tyrannie. Le tout a d’ailleurs des échos de « combattants de la liberté » et des « forces impérialistes », des appellations changeant de sens en fonction du point de vue adoptée lors d’un conflit. Chapeau, toutefois, pour ne pas avoir plaqué des noms connus à tous les deux paragraphes. Les héros font des apparitions, mais la vie de Ciena et Thane se déroule en coulisses, comme des millions, voire des milliards d’autres personnes ayant été touchées par cette guerre civile s’étant déroulée il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine.