Agence Science-Presse
Toutes les revues de l’année 2015 en parlent, et toutes les prévisions 2016 aussi: CRISPR, ou la manipulation des gènes avec une plus grande précision — y compris, ce qui inquiète beaucoup plus, la manipulation des gènes de l’embryon. Pour cette année ou pour cette décennie?
S’il y a un acronyme auquel il va falloir s’habituer, c’est bien CRISPR, pour « technologies d’édition du génome » ou, pour les intimes, « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ». La revue Science en a fait sa percée de l’année: elle est en fait utilisée depuis trois ans en génie génétique, mais les premières publications ont déferlé en 2015. Certains parlent de ses découvreurs comme de candidats au Nobel.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement, un scalpel génétique : un outil qui existait déjà dans la nature, qui permet d’effectuer des modifications génétiques avec une précision inégalée et une efficacité redoutable. Comme le résumait Nature en septembre dernier : « au contraire des autres méthodes d’édition de gènes, c’est peu coûteux, ça se fait vite et c’est facile à utiliser ».
Sauf qu’en tête des futurs possibles, il y a la manipulation des gènes de l’embryon et, en mars, la première des recherches de 2015 sur CRISPR-Cas9 n’était pas encore parue que des chercheurs conscients de ce qui s’en venait lançaient un appel à un moratoire. Le débat éthique a conduit en décembre à un colloque international à Washington, qui s’est achevé sur une déclaration : pas de moratoire, mais la technique n’est pas encore suffisamment au point pour envisager une manipulation d’embryons humains destinés à une grossesse. Sous-entendu : rien n’empêche de commencer à jongler avec des embryons humains non viables, comme l’ont fait des chercheurs chinois dans une recherche parue en avril.
Ces réserves n’empêcheront donc pas qu’en 2016, on annoncera inévitablement plusieurs premières — le premier papillon génétiquement modifié par CRISPR-Cas9, la première brebis et, peut-être, le premier poulet immunisé à la grippe aviaire ou le premier chien « fait sur mesure » pour ne pas déclencher d’allergies. En fait, dans son édition du 31 décembre, Science publiait déjà trois importantes études : trois équipes américaines qui ont testé cette technique — avec succès — pour empêcher le développement chez des souris d’une maladie appelée la dystrophie musculaire de Duchenne, la même qui frappe des humains. Les auteurs prennent la peine de souligner que la technique aurait des effets bénéfiques dans 80 % des cas.
Mais l’usage du conditionnel est de mise: ces modifications génétiques peuvent-elles avoir des effets imprévus sur d’autres portions du génome? Ces modifications sont-elles durables? Fonctionneront-elles tout aussi bien chez d’autres animaux que les souris et, ultimement, chez l’humain? Cette dernière question n’aura certainement pas de réponse en 2016, et peut-être pas avant les années 2020.