Hugo Prévost
Après la bataille politique, la bataille judiciaire: l’entreprise albertaine TransCanada, déboutée aux États-Unis après quasiment une décennie de démarches visant à faire approuver le projet d’oléoduc Keystone XL, se tournera vers les tribunaux afin de contrer la décision négative rendue l’an dernier par l’administration Obama.
Dans une annonce transmise par voie de communiqué, la compagnie spécialisée en transport de produits pétroliers, également derrière d’autres projets ambitieux tels Northern Gateway et Énergie Est, entend invoquer le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour arguer que le refus de la Maison-Blanche et du président Barack Obama était « arbitraire et injustifié ».
TransCanada a également déposé une plainte auprès de la Cour fédérale des États-Unis à Houston, Texas, alléguant que la décision du président de refuser la construction de Keystone XL a excédé ses pouvoirs en vertu de la Constitution américaine, peut-on lire dans le communiqué publié en ligne.
En novembre, le New York Times rapportait qu’après sept ans de tergiversations, quantité d’arguments et d’invectives échangés entre les partisans du projet et ses détracteurs, ainsi qu’une série de manifestations pro-environnementales, voire même des arrestations de célébrités directement en face de la Maison-Blanche, M. Obama opposait finalement une fin de non-recevoir à l’idée de construire un oléoduc d’une longueur de 1500 kilomètres pour relier les sables bitumineux du nord de l’Alberta aux raffineries bordant la côte texane, le long du golfe du Mexique. Le controversé projet aurait permis de transporter quelque 800 000 barils de brut par jour, un pétrole souvent qualifié de plus acide, plus polluant et plus toxique, en raison de sa constitution, mais aussi des méthodes employées pour l’extraire.
« Dans sa décision, le département d’État américain a reconnu que le refus n’était pas fondé sur les mérites du projet. Il s’agissait plutôt d’un geste symbolique fondé sur des spéculations relatives à la perception de la communauté internationale concernant les qualités de chef de file de l’administration en matière de changement climatique et l’affirmation de pouvoirs indépendants, sans précédent, par le président », argue encore TransCanada. De fait, médias, analystes et experts s’entendaient pour dire que le rejet de ce projet n’aurait pas un énorme impact sur les émissions de gaz à effet de serre (le pétrole albertain trouvera sans doute d’autres débouchés), mais que cette prise de position de la part de M. Obama avait valeur de symbole, quelques semaines avant le grand rendez-vous environnemental de Paris où un accord imparfait mais essentiel a été conclu pour lutter contre les changements climatiques.
TransCanada précise par ailleurs que d’autres projets d’oléoducs, dont l’actuel Keystone, avait reçu l’imprimatur américain relativement rapidement, soit moins de deux ans pour le prédécesseurs de Keystone XL. La faute à la politique qui s’est mêlée de l’économie? Les détracteurs du projet avaient affirmé haut et fort qu’une fois la construction achevée, l’entretien et la surveillance du long système de conduits et de tuyaux ne créeraient qu’une poignée d’emplois, et que le pétrole extrait du sous-sol canadien n’irait pas alimenter les voitures nord-américaines, mais serait plutôt exporté à l’étranger après son raffinage au Texas. L’empressement de l’ex-gouvernement conservateur de Stephen Harper à faire approuver le projet, y compris à l’aide d’une campagne publicitaire agressive à Washington, a également pu mettre de l’eau dans le gaz. L’élection des libéraux de Justin Trudeau, et l’adoption des « voies ensoleillées » a aussi inauguré une nouvelle ère dans la relation entre Ottawa et Washington.
Enfin, TransCanada déplore le fait que M. Obama ait opposé son veto à un projet de loi forçant l’approbation de Keystone XL, projet de loi adopté par les deux paliers du Congrès américain. Aux yeux de l’entreprise, agir de la sorte relève d’une décision « contraire aux pouvoirs donnés au Congrès, en vertu de la Constitution américaine, concernant la réglementation du commerce international et inter-États ». La compagnie dit s’attendre à une « dépréciation estimée entre 2,5 et 2,9 milliards $ après impôts », des suites du refus du projet d’oléoduc.