René-Maxime Parent
À plusieurs reprises, Bernard Maris emploie l’image du gâteau pour illustrer l’économie dansOncle Bernard l’anti-leçon d’économie (2015) de Richard Brouillette. Le documentaire qui sortira en salle le 7 janvier présente une longue entrevue où l’économiste, qu’on pouvait lire dans les pages de Charlie Hebdo, nous explique qui coupe le gâteau, mais surtout comment il divise les parts.
À la suite d’une conférence de rédaction àCharlie Hebdo, le 8 mars 2000, Richard Brouillette et son équipe ont interviewé Bernard Maris pendant environ trois heures. Par tranche de 11 min 7 s, la moitié de l’entrevue a été enregistrée, en 16 mm, une image carrée en noir et blanc. À chaque bobine de pellicule terminée, l’écran devient complètement noir et on laisse l’économiste terminer son propos seulement avec le son. On ne camoufle pas la technique cinématographique comme on ne masque pas le son ambiant.
Seul et posé dans le cadre, l’économiste commence par diviser les références en économie en trois groupes : les savants du milieu universitaire, les experts qui promeuvent l’entreprise privée et les journalistes qui se situent entre les deux, qu’il compare à une caisse de résonnance. Il cherche à démystifier l’économie tout en expliquant pourquoi il est si difficile de la poser en objet d’étude. La constitution d’un jargon d’initiés à partir d’équations et de formules technocratiques a rendu l’économie opaque à un tel point que même les politiciens ne savent pas le déchiffrer.
Cette entrevue réalisée dans le cadre du tournage de L’encerclement (2008), un documentaire qui s’inscrit dans l’engouement pour la question économique dans le contexte de la mondialisation à l’aube du XXIe siècle, nous amène à nous questionner sur comment la société occidentale a évolué depuis l’an 2000.
L’économiste balaye la thèse de la main invisible d’Adam Smith qui nécessite une individualité et une rationalité propre à chacun, que chacun détienne une connaissance absolue et que le hasard n’existe pas. Il tient plutôt compte de faits historiques où le commerce survient à la suite d’opérations militaires. Puis, il nous renvoie à la logique libérale défendue par les tenants de l’opacité économique. Ces derniers considèrent que l’homme est profondément égoïste et doit avoir confiance dans le rapport d’échange et le commerce.
« …il avait la capacité d’édifier les consciences en rendant limpides des sujets que la plupart des gens ne voudraient pas même approcher avec une perche de trois mètres, tout en accrochant des sourires aux visages de ses lecteurs », écrit le documentariste.
L’oncle de ses lecteurs aborde les conséquences de cette foi dans l’activité économique sur le monde du travail : inégalités, autocensure et peur du chômage ou de la crise économique. Il esquisse les contours d’un capitalisme qui ne connaît ni bien, ni mal, ayant pour moteur la transformation, c’est-à-dire cette idée de croissance qui peut être renversée d’après nos valeurs communes. Il insiste sur ce point, il n’existe pas de richesse, que de la valeur.
Liberté d’expression
À l’origine publiées par le quotidien danois Jyllands-Posten, les caricatures du prophète Mahomet parues dans les pages de Charlie Hebdo ont provoqué la tragédie du 7 janvier 2015 où Bernard Maris a connu la mort.
Une vaste mobilisation populaire s’en est suivie ayant pour slogan la liberté d’expression. Pourtant, cette valeur commune subit les pressions des six des dix principales fortunes françaises propriétaires des groupes de presse. Ils mettent en œuvre un « perfectionnement d’un verrou médiatique susceptible de disqualifier tout projet contraire au pouvoir des actionnaires », écrit Serge Halimi dans Le Monde diplomatique du mois d’octobre. Cette tendance aurait commencé à Athènes contre Syriza, ensuite, à Londres contre le nouveau dirigeant travailliste Jeremy Corbyn et depuis huit mois, ce « verrou médiatique » se reconfigure à Paris.
« Mais comment parler peuple sans faire baisser l’audience, sans montrer ni travailleurs ( pas assez chics ) ni chercheurs connaissant le sujet ( pas assez choc ) ? En appliquant la recette qui a déjà changé les rubriques politique, économique, culture en galeries de portraits sans profondeur ni perspective. Il s’agit cette fois de transfigurer le populaire en « people ». De mettre en scène un débat impliquant des personnalités intellectuelles enclines à l’exhibition, et qui prêtent généreusement aux masses les pensées développées dans leur dernier livre », écrit Pierre Rimbert dans Le Monde diplomatique du mois de novembre.
L’échelle humaine où la technique est mise au service de la parole du documentaire Oncle Bernard l’anti-leçon d’économie (2015) contraste avec la tangente spectaculaire dépeinte plus haut.