L’Orchestre symphonique de Montréal poursuivait sa présentation de la neuvième édition du Festival Bach, jeudi soir à la Maison symphonique, alors que l’on nous avait préparé un pot-pourri rassemblant du Bach, bien sûr, mais aussi du Stravinsky et du Chostakovitch.
Réglons tout de suite le cas de Bach, puisque si l’on annonçait en grande pompe la 10e de Chostakovitch, encore fallait-il expédier le cas de l’Allemand avant de passer au Russe. Pas que l’OSM ou encore maestro Nagano aient bâclé le travail, mais cette sélection de morceaux présentée sous le nom de Suite tirée d’oeuvres orchestrales, arrangée par Mahler – rien de moins! – donnait hélas dans le convenu et l’ordinaire. Le résultat, sans accrocs mais sans grand enthousiasme, suivait une interprétation juste mais sans cabrioles.
Certes, on pourrait arguer que l’excitation est mauvaise pour le coeur, mais à la vue des autres pièces prévues au programme, on ne peut que constater que l’OSM cède de nouveau à l’étrange tendance consistant à forcer les choses pour mélanger trois oeuvres où A et B pourraient aller ensemble, ou encore B et C, mais où l’une ou l’autre des pièces détonne.
La suite, la suite!, appelions-nous après cette section quelque peu convenue. La suite, sous la forme du Capriccio pour piano et orchestre de Stravinsky, est venue ébranler les fondations jetées par Bach. La pianiste Yulianna Avdeeva est d’ailleurs entrée dans le vif du sujet, lançant les hostilités en passant de notes discrètes et légères à une partition lourde et pesante, passant même près de s’étendre de tout son long sur son instrument. Pendant la vingtaine de minutes qu’aura durée l’oeuvre, Stravinsky (et l’orchestre) sera passé de la paresse à la fougue, de l’apathie à la ferveur. Personne n’aura été épargné… c’est dire! Un morceau à l’image de ce compositeur éclaté, certainement, et une oeuvre qui aura conséquemment détrompé les membres du public qui croyaient avoir droit à une petite soirée tranquille.
Mais, en fait, croyaient-on vraiment que la soirée serait tranquille? La 10e symphonie de Chostakovitch a déboulé dans la salle comme un chien dans un jeu de quilles, faisant résonner les accords haut et fort. Si le tout débute en « dressant la table » de façon quasi-méthodique, avec des influences russes traditionnelles fortement apparentes (le compositeur s’était fait reprocher de s’éloigner des « bases » de la culture musicale soviétique), l’on constate rapidement que la fin du stalinisme et la levée de certaines interdictions a particulièrement profité à Chostakovitch. L’homme s’affirme avec une grande liberté, allant jusqu’à imposer sa présence au public. Les cors résonnent, les tambours tremblent… M. Nagano avait pratiquement peine à suivre le rythme.
Au cours de l’heure qu’aura duré cette symphonie, les notes se sont entrechoquées, se sont télescopées, jaillissant avec fureur, mais toujours avec justesse, en respectant un ordre inné, une structure fondamentale, voire primaire.
Peut-être est-ce le résultat d’une culture de musique classique déficiente de la part de ce journaliste, mais le fait est qu’il soit particulièrement dommage, à ses yeux, que cette 10e symphonie de Chostakovitch ne soit pas mieux connue. Pas que les autres compositeurs « classiques » que sont Bach, Beethoven ou encore Chopin ne méritent pas leur gloire, bien au contraire, mais l’oeuvre de Chostakovitch est d’une puissance et d’une beauté telle qu’elle gagnerait certainement à être mise davantage de l’avant. Les voies empruntées par l’OSM et Kent Nagano étaient rocailleuses, jeudi soir, mais la justesse et la splendeur valaient absolument les détours tortueux. On en aurait redemandé.