« L’affaire » aura coûté un peu plus de 44 millions de dollars, et passionné le Québec, voire le pays tout entier pendant près de deux ans: la commissaire France Charbonneau a présenté mardi matin le rapport final des travaux portant sur la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction et le financement politique. Le volumineux document comporte cependant de larges portions caviardées.
Réclamée à cors et à cris pendant longtemps par les partis d’opposition à Québec, alors que les libéraux de Jean Charest étaient à la tête d’un gouvernement fatigué par les années, la commission d’enquête aura été le pavé dans la mare nécessaire pour dévoiler les stratagèmes et la corruption gangrenant l’octroi de contrats publics, et plus précisément en matière de transport et d’infrastructures.
Dans des locaux à l’aspect on ne peut plus bureaucratiques, murs à teinte unie et sobriété fonctionnelle compris, ce sont une série de bombes politiques et sociétales qui ont explosé tour à tour, alors que défilaient des gens à l’apparence ordinaire, mais qui géraient, de près ou de loin, un empire illégal aux multiples facettes.
Les travaux de la commission auront même contribué, en tout ou en partie, à faire tomber les maires des première et troisième plus grandes villes du Québec. Accusé de « ne pas avoir exercé adéquatement son rôle de contrôle et de surveillance de l’administration municipale », l’ex-maire de Montréal Gérald Tremblay finira par tirer sa révérence dans une allocution empreinte de termes à connotation religieuse. De son côté, la fin de partie fut plus difficile pour l’ex-« roi » de Laval, Gilles Vaillancourt, qui subit toujours son procès pour une série d’accusations comprenant le banditisme.
Au final, le long rapport de la CEIC (un peu plus de 1700 pages) accomplit certains des objectifs visés au tout début des travaux, mais fait aussi son lot de mécontents. On y recommande entre autres de « créer une instance nationale d’encadrement des marchés publics »; d’uniformiser les lois et règlements touchant l’octroi des contrats publics; de dépolitiser la programmation du ministère des Transports en ce qui concerne la construction et l’entretien routier…
En fait, au dire de Mme Charbonneau elle-même, la corruption et la collusion sont un « véritable problème au Québec, un problème beaucoup plus étendu et enraciné qu’on pouvait le penser ». Selon elle, cette constatation ne doit cependant pas « décourager la société: au contraire, la création de la CEIC prouve que le Québec est prêt à faire ce qu’il faut pour protéger l’intérêt public ».
Dans cette optique, d’ailleurs, la CEIC suggère aussi d’« améliorer le régime de protection des lanceurs d’alerte pour garantir la protection de l’identité de tous les lanceurs d’alerte (…), l’accompagnement de ceux-ci dans leurs démarches, ainsi qu’un soutien financier, lorsque requis ».
« La collaboration de tous est primordiale pour créer une société meilleure », a martelé Mme Charbonneau lors de son allocution, avant de faire référence au cadre légal américain pour invoquer de possibles exemples à suivre en matière de protection juridique. « Le travail ne sera jamais achevé une fois pour toutes; le rapport appelle à la vigilance, l’engagement de toute une société pour préserver l’intégrité des institutions publiques. »
Questions sans réponses
Au-delà des bonnes intentions, toutefois, le rapport de la Commission Charbonneau demeure muet sur un possible lien entre le financement des partis politiques et l’octroi de contrats publics. Si la juge elle-même a reconnu que « les machines politiques sont devenues des monstres » nécessitant d’importantes entrées d’argent pour fonctionner, le document final ne s’attarde pas sur cette question. Lors des audiences de la commission, certains témoignages avaient été interrompus alors qu’ils s’approchaient de ce sujet qui n’entraient pas officiellement dans le mandat de la CEIC.
Selon ce qu’écrit Radio-Canada, le commissaire Renaud Lachance est en désaccord avec la présidente de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, France Charbonneau, au sujet des liens entre ces contrats et le financement des partis politiques provinciaux.
Cette dissidence concerne la section 4,6 du chapitre 7 du rapport, consacré au financement politique provincial. On peut y lire qu’il «est possible de conclure que, durant les années visées par le mandat de la Commission, un lien unissait le versement de contributions à des partis politiques provinciaux et le processus d’octroi de contrats publics», rapporte la société d’État.
Or le commissaire Lachance est plutôt d’avis que, «les faits présentés devant la Commission n’ont pas montré un lien, qu’il soit direct ou indirect, entre le versement d’une contribution politique au niveau provincial et l’octroi d’un contrat public», poursuit le diffuseur public.
De même, plusieurs pages du rapport sont très lourdement caviardées, entre autres celles portant sur certains gestes posés par le crime organisé. Cette décision a sans doute à voir avec les démarches entreprises par l’Unité permanente anti-corruption, l’UPAC, qui a procédé à sa propre enquête, en plus d’effectuer plusieurs arrestations.