Près de 38 000 personnes ont été torturées et plus de 3 200 ont été tuées ou portées disparues sous la dictature d’Augusto Pinochet au Chili. Le 11 septembre 1973, un coup d’État a renversé le président Salvador Allende qui a trouvé la mort. La petite-fille du défunt, Marcia Tambutti Allende, interview les membres de sa famille qui ont dû fuir le pays dans le documentaire Allende mi abuelo Allende (2015) présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
Le portrait de Salvador Allende que dresse sa petite-fille en grappillant les témoignages hésitants, en scrutant les multiples albums photo et en analysant les vidéos d’archives relève plus de l’affect. La documentariste interview surtout les femmes de la famille et insiste pour que celles-ci expriment le fond de leur pensée. On arrive à rendre à l’écran une vision « féminine » de cet homme politique qui a marqué l’histoire de son pays, tant subversive qu’elle puisse être.
Si on compare, la femme de Hunter S. Thompson a cassé le mythe de son défunt mari en écrivant : « Si vous êtes l’un de ceux qui aime le spectacle de H. S. Thompson pour sa décadence, sa débauche folle à tous les niveaux (…) pour vivre dans la voie de Gonzo, ce livre n’est pas pour vous. Si vous êtes l’un de ceux qui a juste besoin de quelques fusils et de bombes et d’une pipe pleine de hachisch, que l’amitié soit maudite, ce livre n’est pas pour vous non plus ». Avec The Gonzo Way, Anita Thompson décrit brièvement le fameux écrivain journaliste qui se logeait derrière la caricature qu’on en a faite.
On devine que l’épouse de Salvador Allende est la témoin privilégiée pour raconter son histoire. Cependant, la femme qui a supporté son mari dans ses campagnes électorales à travers le pays jusqu’à la présidence a atteint un certain âge. Sans vouloir la brusquer par ses questions ou la fatiguer par des entretiens trop longs, la documentariste insiste pour qu’elle brise le silence avant de ne plus en avoir la force.
Le silence apparaît comme un personnage invisible plus fort que la figure de Salvador Allende. Ses filles ont appris à l’entretenir pour éviter la douleur et la souffrance, des mots qu’elles répètent pour éviter d’en parler davantage. La grand-mère finit par confier à sa petite fille que son grand-père était un grand séducteur et qu’il la trompait. Même si elle était au courant, elle est restée fidèle à son engagement, par amour pour cet homme près des siens.
À l’âge adulte, les petits-enfants ne veulent pas oublier leur histoire. Ils ont grandi à l’étranger. Seul le plus vieux d’entre eux, Gonzalo, a eu conscience du coup d’État. Il raconte qu’il a été escorté par des militaires jusqu’à un avion pour quitter le pays. Il était à la fois triste d’apprendre la mort de son grand-père et impressionné par l’ampleur de la procédure.
À la fin de la dictature en 1990, la famille est retournée au Chili pour organiser des funérailles d’État au président, jadis élu.