La carrière de Steven Spielberg n’est plus à présenter, mais après une période plus creuse au public peut-être un peu trop ciblé, voilà qu’en se liant avec les frères Coen au scénario que le cinéaste offre un film historique grand public qui le remet certainement sur la bonne voie. Sans marquer les esprits, Bridge of Spies est indéniablement un bon film.
Avec près d’une trentaine de longs-métrages à son actif qui vont définitivement dans tous les sens, Spielberg retrouve un peu la maîtrise du dosage qui a toujours su qualifier son expertise. Armé d’un bel équilibre de tout ce qu’on y retrouve (puisque les 141 minutes sont certainement bien fournies, une spectaculaire scène d’écrasement d’avion qu’Alfonso Cuarón n’aurait pas renié incluse), n’en déplaise à sa durée encore un peu longue et sa tendance à se caraméliser dans les bons sentiments un peu simplistes, son plus récent film arrive à prendre le temps de développer son histoire sans tomber dans la surenchère hyperactive ou les interminables monologues et autres scènes répétitives.
Avec un rythme qui évoque les films d’antan et un suspense que n’aurait pas renié Hitchcock (parlez-en à l’excellente scène d’ouverture), on livre un film d’espionnage à l’ancienne, un humour bon-enfant pour bien alléger la noirceur de l’époque, du sujet et des circonstances qui s’avère bien accueilli en extra, assuré avec une aisance désarmante par un Tom Hanks en pleine forme, toujours filmé de façon vaillante sous le regard de Spielberg. Duo indémodable qui refait équipe pour une quatrième fois, et la première fois depuis dix ans, on peut admettre qu’il y a des étincelles qui se forment quand les deux sont réunis.
Et cette idée de regard, qu’il soit haineux, peureux, inquiet, triste, calme, menacé, menaçant, forcé, etc.), elle reviendra constamment. Que ce soit à travers celui du protagoniste, des autres, dont la signification changera constamment (les autres Américains, les autres citoyens, l’autre détenu, les autres dans le sens de l’ennemi, etc.) ou même dans celui du spectateur, on sera confronté à revoir nos perceptions à plus d’un moment et, comme dans tout bon film d’espionnage, à apprendre à ne pas toujours se fier à ce que cela semble être aux premiers abords alors que n’importe quoi peut toujours cacher quelque chose d’autre.
En évitant de tout précipiter, on prendra le temps de bien mettre en contexte les différents pions qui serviront à jouer la totalité de l’échiquier mis en place dans cette histoire d’échange complexe entre les Russes, les Allemands et les Américains en pleine guerre froide. Mensonges, honneur, supercherie, on jouera rarement franc-jeu et le sort final, le dénouement de tout cela, n’en tiendra qu’entre les mains de James B. Donovan, avocat réputé, futur héros national si ce n’est mondial, qui se retrouvera avec le dossier le plus important et le plus déterminant de sa carrière.
Certes, on en perd un peu au fur et à mesure que les actes se succèdent. On aurait aimé un peu plus de profondeur face à la gravité et les nombreux élans de tous ces beaux et forts sujets, ce qui n’empêche pas le film de nous garder constamment captivés et de découvrir d’un autre œil l’aube de la construction du mur de Berlin, de loin l’un des éléments les plus surprenants du film. Au moins, tout le travail derrière la production est remarquable. Que ce soit au niveau de la reconstitution d’époque que des performances, tous d’une grande justesse, on salue aussi le talent du fidèle complice Janusz Kaminski à l’image, comme du nouveau venu Thomas Newman à la musique qui, en prenant le flambeau des mains de John Williams, semble à nouveau prouver après Road to Perdition et Saving Mr. Banks notamment, qu’il sait toujours comment s’y prendre pour bien entourer Hanks.
Bridge of Spies est donc un sympathique cours d’histoire qui sait habilement ajouter de l’information à un sujet qu’on croyait bien connaître, tout en ne manquant jamais de nous rappeler que c’est d’abord et avant tout du cinéma, dans sa façon de bien nous impliquer de par les émotions et cette façon de partager le regard pour mieux s’approprier ce que les uns et les autres vivent. Dans la même veine que le Unbroken de Angelina Jolie, mais avec une maîtrise de vétéran qui redore le blason en priorisant l’histoire plutôt que le message derrière, voilà un film qui n’aura pas de misère à conquérir ses publics, aussi vastes et variés soient-ils, on le souhaite.
7/10
Bridge of Spies prend l’affiche ce vendredi 16 octobre