Kelly-Anne Bonieux
Après s’être attaqué à des sujets chocs tels que la maltraitance des enfants et la surconsommation de médicaments au Québec, Paul Arcand nous revient avec son troisième documentaire, Dérapages, portant sur les jeunes derrière le volant. L’animateur vedette du 98,5 FM, qui a coproduit le film en compagnie de Denise Robert, donne en effet la parole aux amis, parents et survivants d’accidents de la route causés par des jeunes âgés entre 16 et 24 ans au Québec.
Il aurait été facile de pointer du doigt et de dénoncer cette conduite dangereuse découlant d’un savant mélange de vitesse, d’inexpérience derrière le volant et bien trop souvent, d’alcool. Mais Arcand préfère plutôt ouvrir le dialogue sur l’inefficacité des moyens actuels pour freiner cette tendance (avec une moyenne de trois morts par semaine dans les cinq dernières années) en donnant la parole aux jeunes, sans juger. Ainsi, le film se construit autour « d’accidents clés »; les témoignages nous rappelant d’abord les circonstances ayant menées à l’accident en question, suivi des conséquences de ce dernier. Simple erreur de conduite ou erreur de jugement? Ici, la question devient secondaire. Ce qui prime – et ce que les jeunes eux-mêmes avouent à plusieurs reprises dans le film – c’est ce besoin de trouver des solutions efficaces et ainsi réduire la quantité d’accidents impliquant des jeunes derrière le volant.
Dans ce sens, un film comme Dérapages – qui préfère exposer plutôt que dénoncer – remplit son contrat. Même si le documentaire en lui-même ne fait qu’effleurer certaines solutions possibles (comme des cours de conduites obligatoires dans des conditions climatiques dangereuses ou l’imposition d’un couvre-feu) la sortie du film devrait néanmoins relancer le débat sur les mesures à prendre pour inciter les jeunes à conduire prudemment et améliorer leur niveau de conduite. On ne peut, par conséquent, questionner la raison d’être d’un tel documentaire. Le problème réside plutôt dans la structure même du film et dans sa construction narrative.
En effet, bien que les témoignages soient touchants, percutants et représentent plusieurs différentes régions du Québec, la structure épisodique de Dérapages finit par devenir redondante. Nous sommes tous conscients des dangers que causent l’alcool ou la vitesse au volant (et ces points concernent les conducteurs de toutes les tranches d’âges, pas seulement les jeunes). Avons-nous vraiment besoin que Jacques Villeneuve teste une voiture modifiée sur une route de campagne à une vitesse excessive pour nous faire comprendre le danger d’un tel comportement ? Avons-nous vraiment besoin d’autant de tristes et malheureuses histoires pour nous prouver que ce type de conduite brise des milliers de vie chaque année? Non. Bien que chaque accident, chaque histoire, chaque aveu soit bouleversant et profondément regrettable, la puissance de tels témoignages perd en éclat au fur et à mesure que le film avance.
Dérapages à lui seul ne changera pas l’attitude des gens irresponsables ou de ceux qui recherchent une poussée d’adrénaline; les jeunes interrogés dans le film le disent et redisent : ils ne sont pas influencés par les campagnes de sensibilisation. À force d’exposer sans prendre position et de tout miser sur les gens qu’il interroge, Paul Arcand, que l’on connaît plus mordant et opiniâtre, nous laisse un peu sur notre faim. Oui, le film est nécessaire car il y a un besoin fondamental de comprendre et de changer la mentalité des jeunes impliqués dans les cas de conduite dangereuse. Mais il y aurait eu matière à creuser plus loin. On ne peut s’empêcher de penser que celui qui est connu comme « l’homme qui pose les vrais questions » en aura laissé plusieurs intéressantes de côtés, et c’est dommage.