Avoir une histoire à raconter ne signifie pas forcément prendre la parole. La preuve, hier soir, dans le cadre d’un programme triple à la Maison de la culture Frontenac, ce sont les notes d’un piano et les gestes des danseurs qui ont eu leur mot à dire.
Dans un décor à la fois minimaliste et éloquent, le Collectif Luna Corda offre aux spectateurs un inhabituel amalgame de musique d’inspiration classique et d’un univers dramatique multisensoriel. La musique, à elle seule, incarne la pièce de résistance de cette oeuvre décrite par les conceptrices comme du «théâtre de concert».
Intitulée Les mains froides, la pièce relate quelques épisodes de la vie de Lisa Kolda, une pianiste célèbre qui fait courir ses mains glacées sur les touches de son instrument fétiche. La musicienne se remémore des instants d’un concert où elle exécute des morceaux issus des Études-Tableaux du russe Sergueï Rachmaninoff. D’ailleurs, la pièce Les mains froides se divise elle aussi en courts tableaux musicaux, qui sont autant de moments d’introspection et de souvenirs racontés par les notes de l’instrument à cordes.
Bien que la pièce soit empreinte d’une sensibilité inventive, le subtil manque d’aisance de la pianiste lors des tableaux parlés nuit quelque peu à l’homogénéité du spectacle.
En deuxième partie était présenté Fragments, de la chorégraphe Lara Kramer. Le titre évoque les fragments d’un pan de l’histoire canadienne encore méconnu et que l’artiste cherche à exorciser. Fragments dévoile l’horreur des multiples sévices physiques et psychologiques subis par de jeunes Amérindiens contraints de séjourner dans des pensionnats au cours des 19e et 20e siècles.
D’une violence qui écorche, les mouvements des danseuses sur la scène provoquent par moments des hauts-le-cœur, comme si la gravité du sujet traversait la scène de part en part. Parfois accompagnées par une musique rythmée, d’autres fois en silence, les quatre protagonistes s’engagent dans une lutte des gestes et des pas qui vise à traduire un mal-être accentué par le décor glauque qui les entoure. Toutefois, l’omniprésence de cette brutalité excède souvent plus qu’elle ne bouleverse réellement.
Finalement, la soirée s’est achevée sur une note plus gaie, avec le spectacle Sisi, imaginé par Gibson Muriva, chorégraphe d’origine zimbabwéenne. Le titre est emprunté à la langue maternelle du danseur : «sisi», un mot issu du vocabulaire shona, qui signifie « sœur ».
La troupe composée du chorégraphe vedette et de trois danseuses dresse le portrait de la vie des femmes d’Harare au Zimbabwe, dans une culture où l’émancipation féminine ne va pas de soi. Malgré la sévérité du sujet, cette séquence-ci n’a rien d’excessivement tragique comparativement à la précédente : elle est au contraire illustrée de manière plus vibrante par des artistes dont la passion transparaît dans leurs moindres gestes. Sisi, véritable coup de cœur, propose un arrangement musical et une rythmique alliant les traditions africaines et occidentales ainsi que des des styles anciens et contemporains.