La nuit est froide, lugubre. Les projecteurs installés sur les miradors, côté est-allemand, trouent la pénombre. Au sein de cette atmosphère crépusculaire et oppressante de la Guerre Froide, l’écrivain John Le Carré dévoile une partie de sa vie à travers ses œuvres. King of Spies présente l’Homme et le phénomène avec brio.
Réalisé par Werner Köhne et André Schäfer, King of Spies est à la fois un hommage à l’un des inventeurs de la fiction d’espionnage, mais surtout un récapitulatif des influences et des courants littéraires qui ont marqué cet Anglais de la vieille école. De son éducation écourtée à une prestigieuse école londonienne à sa vie en Europe comme étudiant d’abord, puis comme employé du Foreign Office britannique, tout est matière à récit chez Le Carré.
Tout au long du film, des extraits de divers ouvrages de cet écrivain anglais serviront de toile de fond aux lieux visités ou habités par Le Carré, une façon de mieux intégrer ces récits dans un cadre plausible.
Sourcils broussailleux, vêtements de tweed, voix forte et claire, l’écrivain aborde avec nostalgie sa carrière et sa vie durant l’affrontement larvé entre les puissances occidentales et le Bloc de l’Est. Ses personnages plus vrais que nature, tel l’ineffable George Smiley – que l’on retrouve dans de nombreux romans de Le Carré, Un pur espion, La taupe, Les gens de Smiley, etc. –, ont contribué à créer une faune de l’espionnage si criante de vérité que l’on apprendra, de la bouche d’un ancien agent du KGB interrogé durant le film que certains services de renseignement en sont venus à détester Le Carré, tellement ses descriptions de l’environnement de l’espionnage et des diverses agences (amies ou ennemies) était exacte.
L’homme lui-même a vieilli avec la situation géopolitique du monde, et son propre univers s’est adapté en conséquence; plus question, aujourd’hui, du duel Est-Ouest. Le Carré se tourne désormais vers les problèmes découlant de la mondialisation et de l’ouverture des pays du Tiers-Monde, de véritables terrains de jeu pour les agences de renseignement. On pensera, par exemple, à La constance du jardinier, récemment porté à l’écran.
Extraits de livres, voyage en des lieux empreints d’histoire, musique accrocheuse, King of Spies tient autant du documentaire que du thriller d’espionnage en soi. Un film à voir, donc, entre deux lectures des œuvres du maître.