Une misère oppressante, mordante, une véritable gifle; voilà ce que nous lance en plein visage On achève bien les chevaux, en première montréalaise hier au théâtre de Quat’Sous. Pauvres, riches, toutes les distinctions et les différences de classe s’effacent devant l’inévitable, le tragique, le grotesque.
Québec, les années 30. La récession frappe durement, et tous les moyens sont bons pour s’en sortir. Pourquoi, alors, ne pas prendre part à un marathon de danse? Les gagnants empochent 1500$, les autres retournent à leur misère noire. Et si l’époque est différente, le contexte est ironiquement familier – ne sommes-nous pas, après tout, nous mêmes plongés dans une crise?
Marie-Josée Bastien met donc en scène cinq couples n’ayant plus rien à perdre, et qui donneront le peu qu’il leur reste pour obtenir une vie meilleure. Derrière se tient Ludger Drouin (Jean-Michel Déry, haïssable et vrai), tenant habilement les ficelles. Au fur et à mesure que le spectacle avance, sa nature diabolique et malfaisante transpire de plus en plus; son machiavélisme semble pourtant quelques fois surfait, artificiel, comme un disque écouté trop de fois.
On achève bien les chevaux a d’ailleurs un début légèrement lent; les interactions entre les personnages sont superficielles, même si l’on devine quelques failles dans la psyché des personnages, failles qui s’ouvriront sur des crevasses béantes en ligne directe avec le malheur et la déprime. La force de la pièce, cependant, réside dans sa capacité à nous atteindre progressivement; au bout des 2h25 de la pièce, chacun est sur les rotules, abattu par tant de détresse psychologique et de désespoir.
Tour à tour, les participants livreront leurs secrets les plus intimes, les couples se lézarderont, des vies seront détruites. Tout ça uniquement pour 1500$; en fait, il s’agit plutôt d’une course interminable pour rester en vie, se prouver que l’on vaut mieux que ce se passe à l’extérieur. Sur la piste de danse, l’univers disparaît.
Malgré tout, face à toute cette misère, le spectateur de la génération X ou Y pourra éprouver un certain détachement. Pas que la pièce ne soit pas triste ou poignante, mais l’impact émotif n’est pas là, y compris pour ce journaliste. N’ayant pas connu une telle époque, il est excessivement difficile de se l’imaginer aujourd’hui. Se tuer à la danse pour 1500$? Une crise économique qui met tant de gens à la rue? Dans ces conditions, le spectateur de moins de 50 ans sera quelque peu décontenancé.
On achève bien les chevaux, au théâtre de Quat’Sous, jusqu’au 20 mars 2010