Christine Plante
Lancé vendredi dernier partout en Amérique du Nord, le dernier film de Martin Scorsese rafle déjà la première place au box-office. Les attentes sont hautes. Et la qualité aussi.
Après quatre longs-métrages avec sa dernière coqueluche, Leonardo DiCaprio, c’est un film sombre que nous propose aujourd’hui Scorsese. Sombre parce qu’il prend place sur une île isolée, qu’un orage y fait rage, que le nazisme d’après-guerre est toujours une plaie ouverte, qu’on pénètre dans la pénombre d’une prison-asile psychiatrique à haute surveillance, mais sombre surtout, parce qu’on s’égare dans le dédale psychologique d’un personnage principal hanté par ses propres fantômes.
On est en 1954. Teddy Daniels (DiCaprio), U.S. Marshall, ancien soldat, qu’on découvre instable et nauséeux, est prêt à poser le pied sur Shutter Island – une petite île au large de Boston – afin d’élucider la disparition mystérieuse de l’une des patientes que l’hôpital psychiatrique pour criminels dangereux abrite. Très vite, on sent que l’enquête sera parsemée d’obstacles. Le corps médical de l’asile semble réfractaire à coopérer. Et tranquillement, on comprend qu’en fait, l’enquête est un prétexte. Pour le policier fédéral, c’est un prétexte pour en savoir plus sur le pyromane qui a déclenché l’incendie qui a jadis tué sa femme. Pour les autorités de l’hôpital, c’est un moyen d’attirer dans son gouffre un enquêteur qui devenait trop curieux quant à leurs pratiques médicales révolutionnaires. Bref, les raisons d’être à l’asile semblent tout aussi nébuleuses que la clé des énigmes exponentielles qui se tissent en tous points.
Tout au long du film, le spectateur s’accroche à des repères qui s’évaporent par la suite. Entre les cauchemars récurrents du marshall où sa femme lui souffle des indices, les témoignages distordus des patients domestiqués, l’hypocrisie complaisante des éminents psychiatres et les flashbacks morbides des corps juifs inertes et entassés, s’installe peu à peu la déroute. On ne sait plus trop où l’enquête va aboutir, (qui dit vrai?, qui travaille pour qui?) mais l’on sent, inexorablement, que l’enquêteur y court à sa perte, qu’il frôle le point de non retour – à la terre ferme, mais aussi à la raison. Il perd la tête, on perd le fil, mais comme lui, on s’accroche. Et on spécule jusqu’à la fin, jusqu’à la dernière réplique, qui vient tout expliquer, tout simplement.
DiCaprio livre une performance juste, maîtrisée, hollywoodienne. Scorsese aussi. Le scénario et les images aussi. Les acteurs de soutien. La trame sonore. La bande annonce et l’affiche, aussi. En somme, tout du film est orchestré dans les règles de l’art, par des mains de maîtres et par la loupe du gars des vues. C’est un excellent Blockbuster, vraiment. Un thriller psychologique bien foutu qui vaut définitivement le détour, du moins jusqu’au vidéoclub.
Mais malgré sa réelle précision, l’ampleur des talents qu’il rassemble, Shutter Island rappelle vaguement une tonne d’autres copies. C’est juste sans être ambitieux. Réussi sans être révolutionnaire.
Ça rassasie mais c’est un peu gras.
Pour ceux qui aiment la recette, vous ne resterez pas sur votre faim.
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