Si la culture de la gratuité sur Internet nuit énormément aux entreprises de presse, elle force également ces dernières à innover pour trouver d’autres débouchés commerciaux.
Récemment, le journal Le Monde a lancé toute une gamme de produits dérivés (disques, films et autres) en plus de développer une boutique en ligne où ses abonnés profitent de prix réduits. Rupert Murdoch a décidé de rendre payant le contenu en ligne de ses journaux payant. Le londonien Sunday Times devrait être le premier, l’an prochain. Aux États-Unis, des journaux comme le New York Times, le USA Today et le Wall Street Journal sont désormais disponibles pour le « livre électronique » Kindle à une fraction du prix de l’abonnement papier.
Mais dans le domaine de l’innovation, les grands médias étrangers ne sont pas les seuls à donner un coup de collier. Des médias québécois, petits et grands, développent aussi des solutions pour s’adapter à l’écosystème Internet.
Des innovations Made in Quebec
On la croyait à l’abri, mais la presse québécoise a finalement a été frappée de plein fouet par la crise qui sévit chez nos voisins du Sud. Lock-out au Journal de Québec puis au Journal de Montréal, menace de suspension de production à La Presse, demandes de concessions au Soleil… Le journalisme façon Belle Province est mûr pour du changement!
Le changement commence d’ailleurs à faire son apparition au Devoir, qui n’a longtemps publié sur Internet qu’une version intégrale de son quotidien papier. Désormais, le journalisme 2.0 a la cote et le journal bientôt centenaire suit le mouvement.
« Nous avons atteint la limite commerciale pour ce qui est de simplement prendre le contenu du journal et de le mettre en ligne; nous devons étendre les fonctions d’information », dit Benoît Munger, responsable du contenu Web. Différentes idées sont évoquées, dont la contribution des lecteurs au contenu et le développement d’applications pour les téléphones intelligents.
« Il ne serait pas fou de développer une plate-forme pour les lecteurs numériques d’Amazon et de Sony, explique Yanick Martel, en charge de la mise en ligne du Devoir, nous possédons une clientèle qui a des moyens et qui est plus axée sur les technologies, il suffit qu’il y ait de la demande ! » Le Kindle vient d’ailleurs de faire son entrée sur le marché canadien, suite à une entente avec l’opérateur Rogers.
Des médias de masse à l’ultra-local
Une pléthore de petits sites publient de l’information. Si la plupart d’entre eux demeurent des projets amateurs sous forme de blogues, certains journalistes qui y collaborent voient dans la crise actuelle l’occasion d’innover et de changer le modèle journalistique traditionnel.
C’est le cas de Victor Ortiz et d’André Bérard, respectivement patrons des sites LeBruyant.com et Webdo.ca, deux projets lancés plus tôt cette année. Les deux sites Web ont des missions différentes – l’un de promouvoir les événements, qu’ils soient culturels, corporatifs, publics ou privés, et l’autre, l’information régionale –, mais leurs responsables ont en commun de vouloir renouveler l’art de faire du journalisme sur Internet.
Pour André Bérard, « les hebdos régionaux ne font qu’offrir leur contenu papier en ligne; j’ai donc décidé d’utiliser les possibilités du Web. Aucune date de tombée et possibilité de mettre le contenu à jour en tout temps, voilà deux avantages indéniables au Web. »
Chose rare pour des sites d’informations uniquement basés sur Internet, les deux sites rémunèrent leurs collaborateurs. Les deux initiatives prévoient également accorder beaucoup de place à la parole citoyenne. Le patron du Bruyant, Victor Ortiz, explique d’ailleurs que « si nous nous retrouvons au même endroit que le Voir pour couvrir un événement, nous allons nous concentrer sur les commentaires des gens, leurs impressions. Nous devons également diversifier nos sujets pour rester concurrentiels. Internet est un milieu sauvage. »
André Bérard, désire pour sa part faire prendre conscience aux retraités de la région adéloise (Webdo.ca est un site couvrant la région de Sainte-Adèle) de leur capacité d’influer sur les événements, surtout au niveau local, en leur permettant de prendre parole sur son site.
Le site CentPapiers.com, se présente pour sa part comme un « média libre, participatif et ouvert à travers lequel le citoyen peut partager l’information comme bon lui semble ». Alimenté presqu’uniquement par des «journalistes-citoyens», CentPapiers se veut un complément aux médias traditionnels, selon ses deux responsables, Olivier Niquet et Jean-Philippe Wauthier.
En ligne depuis mai 2006, le site offre gratuitement 1400 articles aux internautes. « C’est un beau domaine, mais il n’y a pas d’argent à faire là-dedans », admet Jean-Philippe Wauthier.
Les deux amis ont ainsi délégué certaines fonctions sur CentPapiers, et se sont adjoint les talents d’un second Jean-Philippe (Pleau) pour lancer l’émission Le Sportnographe. Enregistrée au départ dans un sous-sol, cette émission d’information à la Daily Show parodie avec humour et mordant le monde de l’actualité sportive.
Engagés par la radio de Radio-Canada, les trois comparses innovent sur les ondes hertziennes, et considèrent que le réseau public est encore une plateforme intéressante pour le développement des médias.
« J’ai longtemps vu Le Sportnographe comme un projet multimédia, explique Jean-Philippe Pleau, avec sans doute un volet papier et un autre télé, en plus du site Web. Bon, ce n’est pas le cas maintenant, mais on garde ça en tête.»
Et si Radio-Canada ne les avait pas pris sous son aile? « On aurait essayé ailleurs, affirme Jean-Philippe Wauthier; d’ailleurs, on a déjà eu de la pub sur notre site, rien ne nous empêche d’en remettre. » Pas question de faire payer le contenu, cependant. « Il y aurait peut-être dix personnes qui seraient prêtes à donner de l’argent chaque mois pour nous entendre », lance Jean-Philippe Pleau à la blague.
« Le Sportnographe sur Internet, c’est quelque chose qui peut vivre de soi-même, mais pas nous faire vivre », conclut Olivier Niquet avec philosophie.