Fermeture de journaux, licenciement de personnel, passage au Web, la crise des médias touche l’intégralité de la profession, et les journaux communautaires ne sont pas épargnés.
Même si l’état réel de la situation ne sera révélé qu’au printemps, lorsque l’enquête commandée par les trois associations de médias communautaires du Québec regroupant la télé, la radio et les journaux sera complétée, on peut d’ores et déjà affirmer que les journaux communautaires subissent et continueront de subir, eux aussi, les effets de la crise.
Étant donné les moyens souvent très limités des journaux locaux, la question se pose à savoir si ces derniers sont aussi bien pourvus que les grands quotidiens pour faire face au chambardement que traverse l’industrie depuis quelques années. Il ne fait aucun doute que les médias écrits communautaires ne disposent pas des impressionnants moyens financiers dont bénéficient les grands groupes et encore moins du bassin de candidats désirant prendre la relève des bénévoles qui s’emploient à produire de l’information locale de qualité. Ironiquement, cela peut être considéré une faiblesse autant qu’un avantage dans la lutte contre la crise.
En effet, puisqu’ils dépendent moins des grands annonceurs et qu’ils tirent principalement leurs revenus des subventions gouvernementales, les journaux communautaires sont davantage en mesure de maintenir leur tirage papier et rémunérer leurs collaborateurs, le cas échéant. On retrouve également, au sein du milieu communautaire, un certain esprit de débrouillardise et d’innovation qui peut être quelque peu réfréné dans les grands médias.
Menaces et difficultés
Si Raymond Viger, rédacteur en chef du magazine Reflet de société, affirmait l’été dernier que «la presse communautaire est la base de la démocratie», encore faut-il que cette presse communautaire ait les moyens de ses ambitions. Malgré toute la bonne volonté du monde, l’information est un domaine coûteux et exigeant. Deux problèmes majeurs menacent l’avenir des journaux locaux, soit les changements technologiques et l’affaiblissement des revenus, qui ne peut être compensé, au-delà d’un certain point, par un effort accru des bénévoles.
Ces problèmes ont déjà fait leur apparition dans les salles de rédaction, et ce, sous la forme d’un recours à l’informatique pour toutes les étapes de la production d’un journal, de la rédaction à la mise en page. Ces nouveautés, auxquelles ont dû s’adapter bien des bénévoles plus âgés, ne sont en fait que la pointe de l’iceberg. La diffusion de l’information sur le Web, pierre d’achoppement majeure pour tous les médias de ce monde – particulièrement les journaux – touche également l’écrit communautaire. Avec l’implantation en pleine croissance de l’Internet dans les municipalités en région, de plus en plus de citoyens s’informent en ligne. Cela mènera inéluctablement à la diffusion, du moins en partie, de l’information locale sur la Toile.
La question se pose donc à savoir si le virage technologique est une réalité pour l’ensemble des journaux membres de l’Association des médias écrits communautaires du Québec. Verra-t-on la disparition des journaux locaux indépendants?
Rassurez-vous, ce n’est pas pour demain, et ce, pour deux raisons principales. La première raison est de nature administrative : le Québec ne finance pas encore les médias communautaires uniquement basés sur le Web. Abandonner le format papier signifierait donc sans doute la mort de dizaines de journaux locaux, faute de subventions.
La seconde raison est un peu plus complexe. Les lecteurs assidus, particulièrement en région, tiennent majoritairement à conserver leur journal en format papier. Que ce soit par habitude, ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas accès au Web, plusieurs habitants en région – et même à Montréal – préfèrent tenir le journal entre leurs mains. Non seulement la lecture est-elle plus facile sur papier que sur un écran, mais les liseurs numériques, ces appareils coûteux qui révolutionnent prétendument la lecture et qui contribuent à sauver les journaux, ne sont pas encore largement disponibles sur le marché canadien.
Quelle est la solution pour les journaux communautaires?
Peu de changements sont à prévoir à court terme en ce qui concerne la méthode de distribution des journaux communautaires. Dans l’ensemble, le système se porte bien, les médias écrits locaux occupant souvent une niche spéciale auprès de leur lectorat, ce qui garantit leur survie pour l’instant.
Cependant, à moyen et à long terme, les journaux communautaires devront réfléchir sérieusement à l’orientation que devra prendre leur système de publication. Avec le déplacement de plus en plus marqué des annonceurs vers le Web, où l’espace publicitaire est plus vaste et surtout moins dispendieuse que sur papier, les journaux devront réduire leurs dépenses pour faire face à la baisse des revenus publicitaires. Ces derniers devront peut-être même imposer un abonnement payant à leurs lecteurs, tactique risquée pour ceux habitués à la gratuité de l’information.
Une autre solution serait de publier une partie ou l’intégralité du journal sur le Web, et ainsi abandonner partiellement ou complètement l’édition papier. Même si le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine acceptait de financer des médias communautaires uniquement basés sur Internet, cela impliquerait un changement majeur au sein d’un journal. L’objet pliable et transportable, sur lequel on peut échapper du café, à l’intérieur duquel on peut découper ou écrire, disparaîtrait alors de notre quotidien.
Les journaux communautaires se trouvent donc actuellement à un carrefour dans leur évolution, et les prochaines années seront déterminantes pour l’ensemble de la presse locale. Nul doute que les médias communautaires devront emboîter le pas des grands médias et s’intégrer davantage au Web. À quel prix? C’est ce qui reste à voir.