La prémisse est vieille comme le monde: une histoire impossible, des amants transis, des fatalités et des tragédies.
Et pourtant, c’est une salle comble d’irréductibles romantiques aux attentes astronomiques qui accueillait jeudi soir, à la Place des Arts, le mythique ballet de Piotr Ilitch Tchaïkovski interprété par le Ballet national de Pologne.
L’implacabilité des sentiments
La genèse des amours utopiques continue d’attiser l’imaginaire du sixième art, même après 200 ans de relectures disparates de ce monument du répertoire classique, des plus contemporaines aux plus sobres.
Cette fois-ci, Krzysztof Pastor propose une adaptation narrative en trois actes aux échos tsaristes. C’est que le cœur du jeune tsarévitch Nicolas est tiraillé entre la princesse Alix de Hesse, son inébranlable amour de jeunesse, et la ballerine Mathilde Kschessinska, qui lui est imposée par sa famille.
Entre cygne blanc et cygne noir, entre raison et passion, son cœur balance.
Dans un élan autobiographique, Tchaïkovski signe d’ailleurs ici son opus le plus personnel: dans le solfège de ses songes, le prolifique compositeur a couché sur papier l’aveu alambiqué de son homosexualité, refoulée par les mœurs chastes de sa Russie impériale et exacerbée par un mariage de convenance raté avec Antonina Miliukova.
Un tour de force
La production de grande envergure, signée Krzysztof Pastor, est un véritable tour de force pour ce corps de ballet de haut calibre animant avec aplomb la scène du théâtre Wilfrid-Pelletier.
Car si les solos cristallisent l’inouïe agilité de Chinara Alizade (Princesse de Hesse) et de Yuka Ebihara (Mathilde Kschessinska), c’est plutôt la richesse chorégraphique des monumentaux tableaux groupés sollicitant parfois les 72 danseurs simultanément qui en mettent plein la vue et habitent entièrement les volumes de la scène. Quel brillant exercice de précision et de fougue!
Ahurissants de rigueur et de grâce, ces artistes défient les limites du corps humain au moyen de portés ambitieux et de jetés énergiques – cette succession étourdissante de pirouettes par Yuka Ebihara au bal masqué de l’Acte III, quel prodigieux spectacle –, le tout réglé au quart de tour, sans faille.
Et si l’intrigue imaginée par Krzysztof Pastor se transpose ici au faste de la cour du tsar Alexandre III, l’essence même de la production, elle, demeure fidèlement ancrée à l’archétype du ballet classique. Le chorégraphe puise sa direction artistique au sein du courant dit « ballet blanc », insufflant un romantisme avec un R majuscule aux costumes et aux décors, mais aussi aux enchaînements dénués de modernisme.
Premier ballet dont la musique fut entièrement créée par un compositeur symphonique, Le Lac des cygnes est ici rythmé par les 70 musiciens et solistes de l’Orchestre des Grands Ballets. Mention spéciale à la harpiste, Danièle Habel, qui brille par sa délicatesse lors de la Valse des cygnes à la clôture de l’Acte II et accompagne à merveille les rêveries romantiques du jeune prince.
Juxtaposant habilement les oppositions entre la tragédie du réel et l’irréel évanescent, ce ballet emblématique continue d’aviver les passions même 200 ans après sa création grâce à l’intemporalité et l’inéluctabilité de ses thèmes. À voir dans une vie.
Le lac des cygnes, du Ballet national de Pologne, se produira jusqu’au 2 mars 2019 à la Place des Arts.
Le silence des choses présentes, là où musique et danse s’unissent
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