En deçà de ce phénomène observable avec des lunettes protectrices où la lune se place devant le soleil, l’éclipse du 21 août a altéré la perception des Nord-Américains. Cette dimension de la lumière abordée par le peintre Edvard Munch (1863-1944) transcende deux expositions, au Munch Museet de Oslo et au Met Breuer de New York, d’après la professeure à la University of Notre Dame de Rome, Ingrid D. Rowland dans le New York Review of Books à paraître le 7 décembre.
Selon le ministre de la Santé islandais, Óttarr Proppé, le fait de vivre dans un fuseau horaire décalé d’une heure, soit celui du Royaume-Uni, du Portugal et du Maroc, affecte l’horloge biologique des Islandais, rapporte Reykjavik Grapevine le 24 novembre. Un décalage comparable à celui de l’Espagne vivant à l’heure de l’Allemagne, un héritage franquiste datant de 1942. Au-delà de l’adaptation longitudinale à des fins curatives ou idéologiques, le facteur de la latitude doit être pris en compte quand vient le temps d’aborder la luminosité nordique.
À Oslo, le Munch Museet a fait appel à un curateur inhabituel, l’écrivain norvégien Karl Ove Knausgård, afin d’orienter l’exposition Towards the Forest : Knausgård on Munch conçu par la firme norvégienne Snøhetta qui a créé l’Opéra d’Oslo. Disposant de 143 peintures, sculptures et œuvres graphiques, ce groupe présente Edvard Munch en tant que peintre de la nature de la trame de Claude Monet et de Paul Cézanne divisant l’espace en plusieurs sections intitulées : «Lumière et paysage», «La forêt», «Chaos et énergie», et «Les autres».
Après avoir fait l’acquisition d’une pépinière, l’Ekely en 1916, Edvard Munch a passé le restant de sa vie à peindre au milieu de la verdure et des paysages enneigés, captivé par les variations d’un thème qui le hante à l’échelle humaine. À partir de la façon étrange dont l’artiste emploie les couleurs, Knausgård va souligner dans le roman A Time for Everything paru en 2004 l’exécution avec beaucoup d’énergie et d’expressivité des formes figuratives presque enfantines par l’artiste au centre de la forêt. Le procédé de sculpter d’abord l’image dans un bloc de bois pour ensuite l’imprimer sur un papier est apparent. Munch a travaillé à faire ressortir la matérialité de ses images afin d’en faire des entités plutôt que des représentations.
La professeure Ingrid D. Rowland relève un aspect culturel typiquement nordique entre le procédé d’impression avec bloc de bois de Munch et l’interprétation littéraire qu’en fait Knausgård. L’emploi du bois en tant que matériau symbolise à la fois la région sauvage et la civilisation, des coques élégantes des drakkars aux formes navales compactes des églises médiévales, c’est-à-dire que la forêt se traduit par un enracinement identitaire profond. En plus de se distinguer du monde moderne, le pivot nordique contraste avec la conception occidentale de l’environnement par le fait que la Grèce et l’Italie ont perdu ce lien avec la forêt pendant l’Antiquité, note la professeure. Les arbres ont été coupés pour construire des bateaux servant l’expansion territoriale.
Tout au long de sa carrière, Munch a expérimenté la technique en appliquant de la peinture sur des canevas non apprêtés, en diluant des pigments avec de la térébenthine pour les laisser couler dans un ruisseau coloré et en raclant la surface par coups pour donner du relief. Il a également laissé ses œuvres à l’extérieur afin que la pluie et les oiseaux laissent leurs marques.
C’était un peintre désordonné à la recherche de la meilleure façon de capturer une atmosphère ou un instant.
Le Cri
Au Met Breuer de New York, les visiteurs peuvent contempler Self-Portrait (1886) à l’exposition Edvard Munch: Between the Clock and the Bed. Ce tableau projette presque la même lueur ravagée des icônes de l’Antiquité, mais au lieu de nous fixer du regard, l’autoportrait du jeune Munch porte un regard oblique suprêmement timide, compare Ingrid D. Rowland.
Antérieure à l’œuvre la plus célèbre de l’artiste, Le Cri (1893), la toile Sick Mood at Sunset : Despair (1892) exposée à New York met en place sa composition : un homme se tient au même endroit de l’observatoire Ekeberg observant Oslofjord sur fond de soleil couchant qui meurt dans un ciel rouge sang. Par contre, la figure affligée de cet homme est tournée vers la vieille ville plutôt que face à nous, déformée par l’expression tel Le Cri (1893). Les coups de brosse épais et agités transforment la déprime qui isole l’homme psychologiquement en une division spatiale et sensible le séparant des autres passants venus observer le fjord et la ville.
«Un soir, je marchais le long d’un chemin. La ville était d’un côté et le fjord, en dessous. Je me suis senti fatigué et mal. J’ai arrêté de regarder au-dessus du fjord, le soleil se couchait et les nuages devenaient rouge sang. J’ai capté un cri traversant la nature, j’ai eu l’impression d’entendre un cri. J’ai peint cette image, peint les nuages couleur sang. La couleur a percé. C’est devenu Le Cri», a confié Edvard Munch.
À Oslo, Towards the Forest : Knausgård on Munch était présenté au Munch Museet du 6 mai au 8 octobre.
À New York, Edvard Munch: Between the Clock and the Bed au Met Breuer est présenté du 15 novembre au 4 février.
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