Les dernières années ont vu bon nombre de créations innovatrices et déroutantes au Théâtre d’aujourd’hui, plus particulièrement dans l’intimité de la salle Jean-Claude-Germain.
Que ce soit à travers des pièces telles que Soupers, qui présentait l’absurdité des apparences dans un contexte plus vrai que nature, ou Un animal (mort), mi-conte, mi-fable faisant réfléchir sur l’intergénérationnalité de l’âme humaine, la salle a vu naître nombre de créations expérimentant sur ce que c’est que d’être humain au 21e siècle.
La pièce vive et rafraîchissante de Marianne Dansereau, Savoir compter, ne fait certainement pas exception à la règle, tout en troquant la réflexion douce d’Un animal (mort) pour une remise en question coup de poing acerbe et débraillée.
Le format de la pièce en soi, d’emblée, fait sourire. Un homme (Michel-Maxime Legault, également à la mise en scène) entre sur scène vêtu d’un costume de dauphin criard et commence la narration de l’histoire, narration qui se poursuivra jusqu’à la toute fin. Le ton insolent et goguenard de la pièce est donné.
Soulignons par ailleurs la simplicité et l’efficacité de la mise en scène. Presque entièrement statique, la pièce ne manque pourtant pas de dynamisme et de mordant, en alliant des répliques et des monologues cinglants, des situations et des interactions sociales étonnantes, pour ne pas dire inconfortablement hilarantes par moment, ou franchement horrifiante à d’autres. Les couleurs vives et l’ambiance musicale « enfantine » viennent brouiller les cartes en alliant une candeur franche et une violence tant textuelle que physique très tangible.
Savoir compter, c’est un mélange intergénérationnel toxique, qui n’est pas non plus sans avoir une qualité de tragédie grecque. La progression dramatique est impeccable. Si certains éléments laissent deviner, peu à peu, le dénouement de l’oeuvre, la finesse du texte et la caractérisation progressive des personnages propose un récit aussi bien construit que sans complexe et sans gêne. Les thèmes parfois torturés et tortueux sont abordés de front, sans artifice ou dissimulation. La tombée des masques est d’autant plus grotesque qu’elle est empreinte d’une réalité exacerbée par le ton résolument humoristique et grinçant de la pièce.
Le texte de Marianne Dansereau (également interprète d’un des personnages) parle de lui-même. Savoir compter propose une heure de spectacle aussi cohérente que décapante, qui passe en un clin d’oeil.
Savoir compter réinvente le conte en lui donnant une touche post-postmoderne, déjantée, absurde, horrifiante, mais également cinglante de vérité et de réalisme. On n’en sort décidément pas intacts. Derrière les couleurs criardes, l’exagération émotionnelle des personnages et leurs histoires tordues, Savoir compter n’est autre qu’un miroir à peine déformant de notre société, qui éventre ses recoins les plus sombres et pervertis, à une époque où chacun de ces personnages, du prédateur sexuel à la baby boomer en crise, coexistent dans cette dimension virtuelle et bien réelle qu’est Internet.
Coeurs sensibles ou qui se choquent facilement s’abstenir.
Savoir compter sera présenté jusqu’au 25 novembre (5 supplémentaires jusqu’au 1er décembre) dans la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’aujourd’hui.
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