À tous les jours, les usagers sont exposés au projet d’esthétisation du transport souterrain montréalais différent de l’aspect usuel des métros de Toronto et de New York, mais proche des stations somptueuses de Stockholm et de Moscou. L’enseignante en histoire de l’art au niveau collégial Judith Bradette organise des visites afin d’expliquer la controverse du projet.
D’emblée, les Montréalais ne doivent pas leur métro au maire Jean Drapeau, mais à son bras droit, Lucien Saulnier, qui a défendu le projet d’aménager un réseau de 26 stations. Entre la première pelletée de terre en 1962 et la fin des travaux en 1967, le centre de l’île a été défiguré par l’excavation, laissant des rues ouvertes éclairées par des projecteurs pendant la nuit. L’option d’esthétiser le réseau via l’architecture et l’art visuel provient d’une vision avant-gardiste, en plus de répondre au besoin de rendre ce moyen de transport invitant. Plusieurs résidents des grandes villes avaient ainsi peur de descendre dans les entrailles de la Terre pour être transportés.
Caricaturiste et ami du maire Drapeau, Robert LaPalme a été responsable de réaliser cette vision avant-gardiste en orchestrant la construction de 26 stations par 26 architectes différents, ainsi que de trouver pour chaque station un artiste pour créer une œuvre et un mécène pour la financer. L’œuvre du célèbre cinéaste d’animation, Frédéric Back à la station Place-des-Arts fut la première à être inaugurée. Il s’agit d’une ligne du temps ayant pour thème l’évolution de la musique des chants hurons à un futur hypothétique. Le tableau illuminé de 108 tubes néon est composé d’une superposition de quatre vitres texturées dont l’une a été peinte en noir et grattée pour esquisser des personnages, tandis que les deux autres sont des glacis de couleur.
Œuvre magnifique en soi, mais quel usager prend le temps de s’arrêter pour la contempler après avoir passé les tourniquets? À Place-des-Arts, on se demande plutôt si on est sorti du bon bord! Les étudiants en science se rendant à leur complexe, tandis que les amateurs d’art cherchent leur chemin pour se rendre au MAC ou à la Maison symphonique. Qui a remarqué que les lignes noires qui découpent cette « décoration » sont en relief? Robert LaPalme avait une vision traditionnelle de l’art public, souligne Judith Bradette, c’est-à-dire simplement d’insérer une œuvre dans un lieu sans se soucier de son environnement.
De plus, cet artiste de second rang a imposé le figuratif à un milieu artistique qui baigne dans l’abstraction en vogue dans les années 1960. À la station Berri-UQAM, les usagers peuvent contempler le triptyque de Robert LaPalme, une huile sur toile, à partir de l’escalier roulant descendant vers la ligne jaune. À partir du quai de la ligne verte, l’œuvre de son fils Gaboriau démontre la volonté de rébellion de ce jeune envers son père amenant le figuratif, ainsi que l’idée de la ligne du temps, à la limite de l’abstraction.
Contre-culture
Sur 26 stations, Robert LaPalme n’est arrivé qu’à faire six jumelages œuvre / financement en trois ans. Privilégié dans le Québec en ébullition de la Révolution tranquille, le caricaturiste a subi les foudres du milieu artistique en phase avec leur époque et leur environnement. Menant un débat public de front via les médias d’information, les artistes se sont infiltrés en sourdine dans la construction des stations.
D’abord, les vitraux de Marcelle Ferron ont été imposés à la station Champ-de-Mars. Puis, l’artiste céramiste Claude Vermette a inséré ses compositions de tuiles colorées dans une douzaine de stations du réseau. Le cheval de Troie a été l’introduction de 56 cercles colorés à même l’architecture de la station Peel, tous signés par Jean-Paul Mousseau. L’infiltration s’est faite dans le bureau de l’architecte et l’œuvre a été intégrée dans le budget alloué à l’architecture sous l’appellation « recouvrement motifs circulaires spéciaux » dans le cahier de charges.
Pour le prolongement du réseau à l’est de la station Frontenac, à l’ouest de la station Bonaventure, ainsi qu’au sud d’Atwater, Jean-Paul Mousseau a été nommé directeur artistique. Rendant à la poussière le grand livre d’histoire figuratif de son prédécesseur, l’artiste a mis de l’avant la fusion de l’art visuel et de l’architecture.
Le style coloré, circulaire, voire de science-fiction de l’époque se retrouve dans les pierres en résine de la station Joliette ou dans la base spatiale bétonnée de la station Radisson. Judith Bradette termine la visite à la station LaSalle, carrefour de l’architecture et de l’art visuel aux accents brutalistes.
Adeptes d’art figuratif via la bande dessinée ou les graffitis, ou encore nostalgiques des représentations de l’effervescence de la Révolution tranquille, le métro de Montréal conserve un tiraillement esthétique accessible à tous… qui vaut sa mise en contexte!
Pour expérimenter cette galerie souterraine, contactez Judith Bradette sur sa page Facebook, Art en commun
Un commentaire
Pingback: La séduction de Michel Dallaire entre au Musée de la civilisation