Souvent confondu avec son moyen de pression, la grève, le syndicalisme revêt un caractère plus noble en évoquant son rôle dans l’élection du Parti Québécois en 1976 ou en contemplant l’efficacité de la social-démocratie nordique. Le directeur de la revue Philosophiques, Christian Nadeau nous propose l’essai Agir ensemble: penser la démocratie syndicale aux éditions Somme toute afin de comprendre et repenser le rapport du syndicat à la politique.
À la manière d’un philosophe qui ne s’emmêle pas dans les détours de l’histoire sociale, Christian Nadeau explique avec concision une série de concepts partant de l’action collective en trois raisonnements pour nous amener à la repolitisation par démocratisation du syndicat, en passant par une définition du groupe politique. Ainsi, la table est mise pour introduire les obstacles à l’action politique du syndicalisme: clientélisme et maraudage, autoritarisme, carriérisme, etc. Dans l’ensemble, ce sont les mêmes problèmes éthiques qui affectent les organisations politiques dont certains gouvernements qui cumulent les scandales.
Face aux dérives arbitraires de politiciens qui réduisent la taille de l’État au même rythme que les chefs d’entreprises augmentent leur salaire au détriment des conditions de travail des salariés, la solution proposée dans l’essai est simple. À partir de l’empowerment des individus et de leur responsabilisation, les membres peuvent relever le pari de la « démocratie délibérative » si leur syndicat leur fournit des moyens considérables. Il s’agit de débats publics, de sondages délibératifs, du budget participatif, etc. Par contre, l’application est ardue puisque qu’elle se fait sur le long-terme dans un monde axé sur l’instantané. Sur les médias sociaux, le philosophe déplore l’absence d’espace public réel, c’est-à-dire physique, en chair et en os.
« Les individus doivent justifier publiquement ce qu’ils pensent, ce qui leur demande de raisonner » – Christian Nadeau
La démocratie syndicale dépend de la manière dont elle sera investie par les militants et les militantes, ces hommes et ces femmes qui sont aussi des citoyens et des citoyennes, de sorte que la démocratisation du syndicalisme peut contribuer à la démocratisation de notre société parce qu’elle favorise une culture démocratique, suggère Christian Nadeau. Autrement dit, l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête de tous les membres d’organisations politiques, des syndicats aux gouvernements néolibéraux, est de miser sur la « démocratie représentative », vecteur important du populisme démocratique. Devant la latitude d’arbitrage des élus, l’idée est de la réduire en renforçant la participation citoyenne. Pour le philosophe, le syndicat représente un socle solide pour y arriver.
Loi travail
En France, le président Emmanuel Macron espère s’appuyer sur des syndicats « réformistes » afin de réécrire le Code du travail. À l’inverse de l’approche philosophique de Christian Nadeau développant et vulgarisant le thème de la démocratie participative syndicale, l’enquête du journaliste Jean-Michel Dumay dans le Monde diplomatique de juin trace l’évolution de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) à partir d’une mise en contexte. Il note que l’autogestion semble s’être réduite à une simple démarche participative, rapportant les propos du secrétaire général de ce syndicat « réformiste », Laurent Berger.
L’histoire de la CFDT offre un exemple de l’évolution de la « démocratie syndicale ». Née en 1964, la confédération a fondé un syndicalisme laïc, une dynamique singulière à l’écart du socialisme étatique. Son socle dogmatique repose sur la volonté de « civiliser l’économie », de redonner du pouvoir aux salariés et de valoriser la négociation. Dans son adaptation au monde des trente glorieuses, la CFDT prend position sur le droit à l’avortement et se rapproche des femmes, qui accèdent au marché du travail. Elle soutient la décolonisation et s’inquiète du sort des immigrés. L’« autogestion » est devenue un objectif pour dépasser le capitalisme. La centrale mise sur l’action politique, prend part aux assises du socialisme organisées par le Parti socialiste en 1974 et prône dès 1977 les trente-cinq heures pour partager le travail.
À mesure qu’une nouvelle génération de militants dépolitisés, moins radicaux, plus diplômés, qui se sentaient moins menacés par l’introduction de techniques modernes de gestion dans les entreprises a pris la place des ouvriers, la métamorphose s’est faite. « On aurait tort de voir dans la CFDT une acceptation de l’ordre établi et le deuil d’une autre société. Avec l’autogestion, il y avait aussi une logique de transformation progressive des rapports de pouvoir. C’est moins le but qui comptait que le chemin », a affirmé le membre de CFDT Basse-Normandie, Georgi.
La dépolitisation est le fléau qui guette le monde syndical autant au Québec qu’en France par manque de participation ou par « réformes » afin de réécrire le Code du travail.