Le public de la Maison symphonique a été englouti sous une avalanche de notes mercredi soir dans le cadre d’un récital attendu du pianiste québécois Louis Lortie. Ainsi pourrait–on succinctement résumer ce concert–spectacle durant lequel le prodigieux pianiste, reconnu internationalement pour ses interprétations de l’œuvre de Chopin, nous aura tenus en haleine durant plus de deux heures.
Autant dire une éternité dans le contexte de l’univers pianistique de Chopin. Associer ainsi les études de l’opus 10 et 25 aux vingt–quatre préludes de l’opus 25 tient carrément du marathon. Aussi, l’œuvre de Chopin épate toujours autant 168 ans après sa mort. Elle exhibe des passages « morbides, fiévreux, déplaisants [..], des plumes d’aigles éparses, le tout dans un désordre bariolé », comme le disait Robert Schumann, grand admirateur du pianiste. Et encore, là où les études techniques côtoient la tristesse, la folie qui se juxtapose comme un élément dissonant, on y retrouve pourtant au détour d’un soubresaut du pianiste errant, une véritable grâce. Soulignant les passages les plus difficiles en levant la main gauche après chaque mesure, Louis Lortie s’est illustré mardi comme l’un des plus brillants interprètes de l’œuvre de Chopin. Il est toujours fascinant de constater à quel point l’œuvre du compositeur est vivante et expose l’ambiance d’un autre siècle dans une facture encore résolument contemporaine.
Il est d’ailleurs intéressant que certaines études ou préludes de l’œuvre du génial compositeur aient hérité de surnoms posthumes, tels que révolutionnaire, océan, goutte de pluie, ce qui ne reflète aucunement la volonté du compositeur. Cette réinterprétation témoigne du large spectre narratif de Chopin, roi du romantisme, lequel réussit à illustrer musicalement des images émotives par le son de son instrument.
L’étude en mi majeur de l’opus 10, publié en 1833, a été maintes fois réinterprétée dans la culture pop, dont la plus célèbre version demeure probablement celle de Gainsbourg. Mais pas de populisme ici, Lortie décortique chaque note lentement, dépouillée de toute fioriture, afin d’aller y chercher l’essentiel de son esprit émotif.
Écouter une étude de Chopin unique est une chose. En écouter vingt-quatre en continu en est une autre. Autant dire qu’il s’agissait d’une sorte de chute libre, où cet élan de notes s’élève en fracas et retombe sans cesse, maintenant l’auditeur en apesanteur, tantôt ballotté par le sanglot, tantôt par la frénésie. Devant un tel torrent, il devenait même difficile de tout décoder, tellement cette surcharge de quarante-huit morceaux si rapidement exécutés embrumait l’esprit à la sortie de l’entracte. Pour réussir un tel tour de force, il fallait tout le talent de M. Lortie.
Chopin ne se contentait pas de composer des études purement techniques, mais il transformait aussi ces dernières en quasi Nocturnes, soit des compositions qui, malgré cet exercice de style technique, étaient absolument ravissantes de romantisme et d’ingéniosité, tout en jouant dans le plus contraignant pour la main du pianiste. L’Étude No. 4 de l’Opus 10 répond à ce critère, puisque la main droite du pianiste doit alors jouer l’accompagnement avec les trois doigts les plus faibles de la main, tout en soutenant une progression rythmée avec le pouce et l’index. La main doit virevolter comme un automate dans une finale tonitruante.
Favori personnel, le court prélude No.7 Adantino évoque l’atmosphère enfumée du Café parisien du Titanic alors que le No. 6 rappellera la nostalgie d’un boudoir victorien. Intemporels, ces préludes constituent une collection de souvenirs accablés, associés au séjour désastreux que Chopin fit à Majorque à l’hiver 1838-1839.
L’acoustique de l’Adresse symphonique servit bien Louis Lortie mardi soir, celui-ci laissant gracieusement réverbérer chacune des notes, lentement détachées, dans l’écho du silence. Pensons à l’interprétation du prélude no. 15 dit « gouttes de pluie », dans lequel le pianiste pris soin de lentement articuler chacune des notes des premières mesures pour en saisir toute la grâce.
Louis Lortie livre une dernière prestation du Concerto No. 1 de Chopin le jeudi 6 avril et samedi 8 avril, accompagné du chef émérite et habitué de l’OSM, Sir Andrew Davis.
Pièces jouées :
12 études pour piano Opus 10
12 études pour piano Opus 25
24 préludes pour piano Opus 28.
Un commentaire
Très bon texte, Xavier!